Quel que soit son lieu de départ ou d’arrivée, le passeur des mondes porte en lui un matériel émotionnel et culturel qui filtre ses perceptions de l’après-frontière. Ce matériel affecte simultanément la manière dont il se perçoit et la manière dont il est perçu. En retour, le passeur ensemence sa terre d’accueil d’un imaginaire culturel exogène et permet de repenser ou réinventer les identités locales. Conséquemment, le bossale participe de cette figure fertilisatrice du passeur au fondement de notre monde globalisé. Il est l’esclave né en Afrique, marchandise déshumanisée du commerce négrier, outil de production surexploité, tentant de se retisser une humanité, une identité.
Si le bossale est un rouage historique important dans la surexploitation du corps des plus fragiles socialement, il pose aussi la question des identités transnationales inhérentes à notre monde actuel. En effet, dès ses premiers soubresauts, le bossale, par conséquent le corps noir, désigne la figure du sans sol qui n’est nulle part chez lui ; en contraste avec le capitaine d’industrie qui prend possession des territoires à exploiter. Le bossale participe des premières identités transnationales modernes qui se définissent lors du passage. Ils portent avec eux la double mémoire d’un ailleurs et d’un ici, la double conscience de la complexité des mondes. Les bossales contemporains font face à des monocultures identitaires (nationale, culturelle, géographique) encore porteuses d’identité-barrière guidé par le model assimilationniste et son “ bien/ou bien“. Leurs résistances participent alors à maintenir de la plasticité dans des constructions identitaires et culturelles portées à l’effacement de la différence plutôt qu’à son respect.
Chacun des artistes de cet événement questionne cette part d’identité transnationale qui ne fait pas le choix de la soustraction d’une identité, mais de l’addition (et/et). Comment les descendants directs et indirect du bossale, les artistes afro-américains et les Afro-Européens, articulent-ils le monde ? Quel type de dialogue décolonial naît de la rencontre des artistes afrodescendants et africains d’ici et d’ailleurs ? Comment ces artistes investissent-ils le champ de l’art contemporain ? Quelles sont leurs radicalités (racines)?